Les demandes de mesures conservatoires occupent la Cour internationale de Justice. Rien qu’en octobre, la Cour a entendu des demandes de mesures provisoires dans trois affaires distinctes, Canada et Pays-Bas c. Syrie, Arménie c. Azerbaïdjan, et Guyane c. Venezuela. Cela s’inscrit dans une tendance plus large. Les parties demandent – et obtiennent – des mesures provisoires de plus en plus fréquemment : au cours de la dernière décennie, la Cour a indiqué des mesures provisoires dans onze affaires, contre dix dans la première. cinquante années d’existence de la Cour (1945-1995).
Comment les États réagissent-ils ? Étonnamment, bien qu’il y ait eu d’excellentes discussions théoriques sur les ordonnances de mesures conservatoires de la CIJ (exemples ici et ici), aucune ne semble, ces dernières années, avoir systématiquement examiné la pratique des États en matière de respect de ces ordonnances. Cet article tente de le faire et conclut que la conformité est modeste mais significative, oscillant autour de 50 % mais diminuant ces dernières années à mesure que la Cour a pesé sur des affaires controversées à enjeux plus élevés.
Les données : mesures provisoires depuis 2001
En vertu de l’article 41(1) du Statut de la CIJ, « la Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circonstances l’exigent, toutes mesures provisoires qui devraient être prises pour préserver les droits respectifs de l’une ou l’autre partie ». À l’instar des injonctions provisoires émises par les tribunaux nationaux, les mesures provisoires visent à geler la situation juridique entre les parties afin de garantir l’intégrité d’un jugement définitif. On s’est longtemps demandé si ces mesures étaient contraignantes pour les parties. Mais la Cour a dissipé ces doutes LaGrand jugement, où elle a jugé qu’ils l’étaient, compte tenu de la « fonction fondamentale de la Cour de règlement judiciaire des différends internationaux ».
Il est donc logique d’examiner le respect par l’État des mesures provisoires après la LaGrand jugement rendu en juin 2001. Depuis lors, la Cour a prononcé 54 mesures provisoires dans 15 affaires. (Ce décompte considère les deux Avena cas et les deux cas entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan séparément.)
Pour déterminer la conformité des États, j’ai examiné les preuves documentaires du comportement des États entre la date de l’ordonnance et la date du jugement final, soit sur les objections préliminaires, soit sur le fond. J’ai examiné à la fois les propres conclusions de la Cour dans ses arrêts ultérieurs dans chaque affaire ainsi que les preuves fournies par les États et des tiers (par exemple, journaux, sites Web juridiques et politiques et littérature scientifique).
Il n’y a pas de place dans un court article de cette nature pour analyser ou décrire les faits concernant le respect des obligations en détail ou pour expliquer pourquoi je considère que le respect des obligations dans des cas particuliers est complet, partiel ou inexistant. Cependant, mon analyse est accessible au public ici et j’encourage les lecteurs intéressés à en vérifier l’exactitude et à fournir leurs commentaires dans la zone de commentaires ci-dessous.
Les faits : des niveaux de conformité mitigés
Comme pourraient s’y attendre les observateurs de la Cour, les résultats sont mitigés. Les Parties se sont pleinement conformées aux mesures provisoires dans un tiers des cas (cinq sur quinze), à savoir dans :
- Jadhav (Inde c. Pakistan) [measures ordered in 2017]
- Immunités et poursuites pénales (Guinée équatoriale c. France) [2016]
- Questions relatives à la saisie et à la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie) [2014 & 2015]
- Demande en interprétation de l’arrêt Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) [2011]
- Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique) [2003]
Le respect de certaines mesures a été partiel – les parties ont observé certaines mesures mais pas d’autres – dans un cinquième des cas (trois sur quinze) :
- Application de la CERD (Azerbaïdjan c. Arménie) [2021]
- Application de la CEDR (Qatar c. Émirats arabes unis) [2018]
- Certaines activités menées par le Nicaragua dans la zone frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) [2011 & 2013]
Et il n’y a eu aucune conformité dans près de la moitié des cas (sept sur quinze) :
- Allégations de génocide (Ukraine c. Russie) [2022]
- Application de la CERD (Arménie c. Azerbaïdjan) [2021-2023]
- Application de la convention sur le génocide (Gambie c. Myanmar) [2020]
- Traité d’amitié (Iran c. États-Unis) [2018]
- Application de la CIRFT et de la CERD (Ukraine c. Fédération de Russie) [2017]
- Application de la CERD (Géorgie c. Fédération de Russie) [2008]
- Demande en interprétation de l’arrêt Avena (Mexique c. États-Unis d’Amérique) [2008]
Ainsi, dans l’ensemble, les partis se sont conformés de manière significative environ 50 % du temps. Ceci est conforme aux résultats au niveau des mesures individuelles. Hors ordonnances procédurales, dans lesquelles la Cour demande aux parties de déposer des rapports de conformité, les États se sont conformés à 49 % des mesures provisoires de la CIJ (22 sur 45 ordonnances « de fond »).
Si l’on examine les tendances au fil du temps, la conformité a clairement diminué ces dernières années. Sur les cinq cas dans lesquels des mesures provisoires ont été ordonnées au cours des cinq dernières années, un cas a été partiellement exécuté (Azerbaïdjan c. Arménie) et aucune conformité sur quatre. Il convient toutefois de noter que les quatre exemples de défiance sont liés à certains des conflits majeurs du monde : la guerre entre l’Ukraine et la Russie, le conflit du Haut-Karabakh, le génocide des Rohingyas et les sanctions américaines contre l’Iran. Cela marque une rupture avec les affaires précédentes, qui tournaient souvent autour de conflits plus localisés et non violents avec des enjeux légèrement moindres (voir, par exemple, Guinée équatoriale c. France et Timor-Leste c. Australie).
Les résultats sont plus positifs lorsqu’on s’intéresse uniquement aux mesures procédurales. Dans les huit cas où la Cour a ordonné aux États de rendre compte des mesures qu’ils ont prises en réponse aux ordonnances de la Cour, les parties semblent s’être toutes conformées. Cela n’est pas surprenant compte tenu des faibles coûts liés au respect de ces mesures, d’autant plus que les rapports de conformité ne sont généralement pas publics et n’ont donc que peu de conséquences sur la réputation. Parallèlement, ces rapports sont l’occasion pour les États d’élaborer un discours favorable à la Cour et de manifester leur respect pour son autorité.
Une explication provisoire : l’importance des coûts de mise en conformité
Qu’est-ce qui explique ce bilan mitigé et en déclin de la conformité des États ? Bien qu’une analyse théorique détaillée dépasse le cadre de cet article, une explication provisoire se dégage sur la base des éléments de preuve ci-dessus : le respect des mesures provisoires semble être déterminé par les coûts et les avantages relatifs de l’obéissance à la Cour.
Du côté des avantages, la conformité peut aider à résoudre – ou du moins à atténuer – le différend existant. Et plus largement, l’obéissance à la Cour peut consolider la réputation d’un État sur la scène mondiale, ce qui est particulièrement important pour les États qui valorisent leur statut d’acteurs respectueux de la loi. Mais la mise en conformité est également coûteuse : elle oblige souvent les États à modifier un comportement qu’ils perçoivent comme politiquement ou économiquement avantageux. Même lorsqu’un changement de comportement s’avère finalement bénéfique, les États peuvent avoir des difficultés à justifier ce changement auprès de leurs citoyens ou des parties prenantes intéressées.
Les ordonnances de mesures provisoires les plus récentes fournissent de bons exemples de cas où les coûts perçus du respect des règles dépassent de loin les avantages. Dans le Ukraine c. Russie et Arménie c. Azerbaïdjan Dans ces contextes, les dirigeants russes et azerbaïdjanais perçoivent les deux conflits comme cruciaux pour leurs régimes. Et le régime militaire du Myanmar utilise depuis des décennies des préoccupations en matière de sécurité nationale pour justifier ses atrocités contre les Rohingyas – un comportement qu’il est peu probable qu’il change compte tenu des avantages perçus pour le gouvernement. Une logique similaire s’applique à l’autre Ukraine c. Russie cas et Géorgie c. Russie, deux situations de conflit où la désescalade était probablement perçue comme coûteuse. Alors que la Cour continue de traiter des affaires à enjeux élevés en matière de droits de l’homme, elle risque de continuer à être confrontée au même calcul de la part des parties – et au résultat final du non-respect.
Conclusion
Il y a plus de vingt ans, le juge Oda a averti que « le mépris répété des parties à l’égard des arrêts ou des ordonnances de la Cour portera inévitablement atteinte à la dignité de la Cour et soulèvera des doutes quant au rôle judiciaire que la Cour doit jouer dans le contexte international ». communauté. » Il n’est pas clair que cela soit déjà arrivé, ni que la Cour doive vivre dans la peur de cette menace. Même lorsque la conformité est très improbable, la Cour peut souhaiter continuer à émettre des ordonnances de mesures provisoires pour d’autres raisons : pour signaler son engagement en faveur du droit et contribuer à le consolider, pour exclure les contrevenants aux règles internationales ou pour permettre à d’autres institutions de faire appliquer ces règles. Mais l’expérience récente conseille à la Cour de ne pas s’attendre à ce que la loi soit respectée dans la plupart des cas, surtout lorsque les coûts pour les parties dépassent les avantages.
Respect des mesures provisoires depuis 2001
Source : analyse de l’auteur (disponible ici)
Cas |
Année de la ou des commande(s) |
conformité des noms |
Conformité procédurale |
Allégations de génocide (Ukraine c. Russie) |
2022 |
Non |
– |
Application de la CERD (Azerbaïdjan c. Arménie) |
2021 |
Partiel |
– |
Application de la CERD (Arménie c. Azerbaïdjan) |
2021-23 |
Non |
– |
Application de la convention sur le génocide (Gambie c. Myanmar) |
2020 |
Non |
Oui |
Traité d’amitié (Iran c. États-Unis) |
2018 |
Non |
– |
Application de la CEDR (Qatar c. Émirats arabes unis) |
2018 |
Partiel |
– |
Jadhav (Inde c. Pakistan) |
2017 |
Oui |
Oui |
Application de la CIRFT et de la CERD (Ukraine c. Fédération de Russie) |
2017 |
Non |
– |
Immunités et poursuites pénales (Guinée équatoriale c. France) |
2016 |
Oui |
– |
Questions relatives à la saisie et à la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie) |
2014-15 |
Oui |
Oui |
Demande en interprétation de l’arrêt Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) |
2011 |
Oui |
Oui |
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la zone frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) |
2011, 13 |
Partiel |
Oui |
Application de la CERD (Géorgie c. Fédération de Russie) |
2008 |
Non |
Oui |
Demande en interprétation de l’arrêt Avena (Mexique c. États-Unis d’Amérique) |
2008 |
Non |
Oui |
Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique) |
2003 |
Oui |
Oui |
Taux de conformité total |
53% |
100% |