Dans le cadre de notre objectif d’information, nous publions ci-dessous un éditorial vu sur internet ce jour. Le propos est «la justice».
Son titre saisissant (Me Didier Seban, avocat du père d’Estelle Mouzin : « C’est un monumental échec judiciaire et un scandale ») est sans détour.
Présenté sous le nom «d’anonymat
», le journaliste est connu et fiable.
L’éditorial a été publié à une date notée 2023-02-07 04:00:00.
Vingt ans presque jour pour jour que la petite Estelle Mouzin a été enlevée à Guermantes (Seine et Marne) puis assassinée. Vingt ans qu’elle hante les mémoires et que sa famille se bat pour que ce crime soit élucidé. L’assassin n’était autre que Michel Fourniret, dit « l’ogre des Ardennes ». Déjà condamné en 2008 pour sept autres meurtres en France et en Belgique, il a fini par avouer celui d’Estelle en mars 2020. Et après les ultimes investigations du pôle « cold case » de Nanterre, l’enquête sur cette interminable affaire vient de s’achever. Mais auparavant la justice a été si lente que seule Monique Olivier, l’épouse et complice du tueur en série comparaitra devant les assises, vraisemblablement en novembre prochain. Entre-temps Fourniret est mort de vieillesse et de maladie. Me Didier Seban, l’avocat du père d’Estelle, explique pourquoi il attaque désormais « l’État pour fautes lourdes ».
Elle. – Avec Eric Mouzin, et le plus souvent contre l’avis de la police et des juges, vous avez toujours privilégié la piste Fourniret.
Didier Seban. – Depuis janvier 2003 et encore jusqu’au mois dernier, Eric Mouzin organisait tous les ans une marche blanche à Guermantes en souvenir d’Estelle. Il a marché pendant deux décennies ! Il n’a jamais abandonné. A remué ciel et terre pour obtenir des réponses. Comme depuis 1998 les proches de Marie-Angèle Domece et depuis 1990 ceux de Joanna Parrish elles aussi victimes de Fourniret. Le pôle de Nanterre a également clos l’enquête sur ces deux dossiers. Et aujourd’hui, d’une certaine manière, une page se tourne. L’expression « faire son deuil » ne signifie rien quand on a perdu un enfant dans ces conditions, mais pour les familles, le procès de Monique Olivier sera un moment important. Cela fait si longtemps qu’elles attendent.
Si on nous avait écouté, Fourniret aurait comparu pour ces crimes avant sa mort.
Elle. – Selon vous, Michel Fourniret aurait pu être dans le box ?
D.S. – Oui. Et je ne peux m’empêcher d’éprouver un terrible sentiment de gâchis. Et de colère aussi. Si on nous avait écouté, Fourniret aurait comparu pour ces crimes avant sa mort en mai 2021. Presque depuis le début, nous étions convaincus que c’était lui. Peu avant son procès en 2008, où je défendais déjà des familles de victimes, il avait écrit dans une lettre pour dire qu’il voulait « aussi être jugé pour l’affaire Mouzin ». Ce qui était une manière de dire : « J’y suis pour quelque chose ».
Elle. – Que s’est-il passé alors ?
D.S. – J’ai aussitôt alerté le juge de Meaux, en charge à l’époque. Mais les enquêteurs n’ont pas voulu démordre de l’alibi que leur a alors présenté Fourniret : le jour où Estelle a été enlevé, il affirmait avoir téléphoné à son fils depuis la Belgique. Le fils a démenti. Nous avions aussi un témoin qui avait croisé Michel Fourniret à Guermantes trois jours avant l’enlèvement. Mais rien n’y a fait. Même quand une ancienne codétenue de Monique Olivier a téléphoné à mon cabinet : la femme de Fourniret lui avait confié que son mari était impliqué dans la disparition d’Estelle. Six mois ont passé avant que cette ex détenue soit interrogée.
Elle. – Pourquoi une telle inertie ?
D.S. – Les enquêteurs se sont mis des œillères. Cela arrive souvent. La PJ de Versailles a par exemple cru pendant un temps qu’Estelle avait été renversée par une voiture et que le chauffard avait mis son corps dans le coffre pour aller l’enterrer quelque part. Totalement absurde. Côté justice, ce n’était pas beaucoup mieux. Nous avons vu passer huit magistrats instructeurs à Meaux. Le dernier ne cotait même pas le dossier, ni n’en faisait la synthèse alors que c’est obligatoire. Impossible de s’y retrouver. Nous avons demandé son dessaisissement mais on nous a répondu que les victimes ne pouvaient faire de telles démarches.
Elle. – Et puis tout a basculé en 2020.
D.S. – Grâce à la juge Sabine Khéris qui, à Paris, instruisait les affaires Domece et Parrish. Elle a réussi à mettre en confiance Monique Olivier qui lui a lâché : « J’ai aussi des choses à vous dire sur l’affaire Estelle Mouzin mais je ne les dirai qu’à vous ». C’est ainsi que ce dossier a enfin été transféré de Meaux à Paris. Mais il a fallu encore dix-huit mois avant que Sabine Khéris puisse tout centraliser. Olivier a alors reconnu avoir passé le fameux coup de fil depuis la Belgique. Et Fourniret est passé aux aveux mais il était déjà atteint de la maladie d’Alzheimer ! Heureusement, la juge a à nouveau fait expertiser un matelas saisi chez lui en 2003. Si à l’époque les analyses n’avaient rien donné, cette fois, l’ADN d’Estelle y a été retrouvé. Preuve qu’elle a été séquestrée, violée et assassinée dans la maison du tueur et de sa complice, près de Charleville-Mézières
Elle. – Tout a été fait pour rechercher le corps de la fillette ?
D.S. – Des pans entiers de forêts ont été creusés, des maisons démolies. On a amené Fourniret dans les Ardennes pour qu’il se souvienne. Eric Mouzin s’est même infligé une rencontre avec lui pour tenter de le faire parler avant sa mort. Mais c’était un vieillard incapable d’aligner trois mots. Il avait perdu la mémoire. Il était trop tard. Et aujourd’hui, Eric Mouzin ne peut pas se recueillir sur la tombe de sa fille parce que nous avons dû mener 15 ans de batailles – des appels sur des non-lieux, la saisi de la Cour de cassation, de la Cour européenne des droits de l’Homme, etc. – avant que la piste Fourniret soit envisagée. C’est un monumental échec judicaire et un scandale.
Elle. – Cet échec n’a-t-il pas aussi agi comme un déclic ?
D.S : En effet, c’est peu de temps après qu’a été créé le pôle « cold case » de Nanterre, confiée à la juge Khéris. Le père d’Estelle et moi le réclamions depuis longtemps. Aujourd’hui, nous espérons que ce pôle aura vite plus de moyens. Nous souhaitons aussi l’instauration d’un fichier ou d’un site internet avec les visages des enfants disparus. La gendarmerie diffuse bien la liste les objets d’art volés. En ne le faisant pas pour les enfants, onnourrit le fantasme sur le nombre de cas qui n’est pas aussi élevé que certains le croient. On s’interdit aussi la collecte de renseignements, de témoignages. Ces crimes non élucidés, ce sont autant d’auteurs qui risquent de récidiver. Et la justice a la devoir de résoudre ces affaires.
Bibliographie :
Enseignement de l’allemand/Vocabulaire allemand,A voir et à lire. . Disponible sur internet.
Les magistrats sur le divan,Clicker Ici .
Médiateurs et Avocats : Ennemis ? Alliés ?,A voir et à lire. .