Je viens de voir cet éditorial sur la thématique « la justice ». Avec régal nous vous en révélons l’essentiel plus bas.
Son titre (Justice : cour criminelle versus cour d’assises) parle de lui-même.
Identifié sous le nom «d’anonymat
», le rédacteur est positivement connu pour d’autres encarts qu’il a publiés sur le web.
Au terme d’une expérimentation conduite dans une trentaine de départements, les « cours criminelles » seront généralisées à l’ensemble du territoire national à compter du 1er janvier 2023. Elles remplaceront les « cours d’assises » dans de nombreuses affaires pénales jusque-là soumises au jugement de jurés populaires. Doit-on s’en féliciter ou le redouter ?
- Fabrice Lucchini dans le film « L’hermine »
Il est malheureusement avéré que, du fait d’un manque de moyens matériels et humains, la Justice est rendue de manière beaucoup trop lente en France. Un constat qui ne concerne pas uniquement les dossiers criminels, mais également ceux qui relèvent de la correctionnelle ou des affaires familiales. Cette réalité a valu à notre pays d’être, à plusieurs reprises, condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dans le passé.
La création des cours criminelles départementales (CCD) a précisément pour objet de diminuer le temps de réponse de la Justice dans les affaires les plus graves en confiant à des jurys de magistrats professionnels la tenue des procès et le jugement de la majeure partie – environ 57 % à ce jour – des affaires jusque-là destinées aux cours d’assises et par conséquent jugées par des jurés populaires.
Le gain de temps est lié à l’absence des jurés populaires dans ces instances : outre le fait que ces citoyens tirés au sort doivent être formés en début de session* sur le fonctionnement des procès et le rôle que l’on attend d’eux, la tenue des débats s’en trouve allégée. Les magistrats des cours criminelles – au nombre de 5 par procès – sont en effet des professionnels habilités à prendre connaissance du dossier d’instruction, ce qui n’est pas le cas des jurés populaires dont le jugement est basé sur la seule oralité des débats.
Certes, l’oralité reste essentielle dans les procès des cours criminelles, mais du fait de l’accès des 5 juges aux pièces du dossier d’instruction en amont des débats, seule l’audition des témoins indispensables à la compréhension des faits est maintenue, les expertises techniques et scientifiques figurant dans les PV d’instruction ne nécessitant pas d’être toutes évoquées et développées dans les prétoires.
En moyenne, un procès en cour d’assises dure 3,5 jours si l’on se réfère aux statistiques du ministère de la Justice. Cette durée est – comme le démontre l’expérimentation en voie d’achèvement** – ramenée à un peu plus de 2 jours en cour criminelle, ce qui permet de juger un nombre plus élevé d’affaires lors d’une session. Autre avantage pour les services de l’état : l’économie de défraiement des jurés pourrait, lorsque la réforme aura été étendue à tout le territoire en diminuant par deux le nombre des jurés populaires, s’élever à plus de 10 millions d’euros par an.
Tous les dossiers criminels n’ont pas vocation à être soumis à la nouvelle instance. Les cours criminelles sont habilitées à juger les affaires passibles d’une condamnation de 15 à 20 ans de réclusion. Cela concerne notamment les viols, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, les actes de barbarie et les vols à main armée. Seuls comparaissent en cour criminelle les délinquants majeurs non récidivistes. Les cas de récidive ainsi que les assassinats et les meurtres restent jugés par des cours d’assises. Les appels sont eux aussi systématiquement jugés en cour d’assises.
Parmi les progrès attendus par les promoteurs de cette réforme figure la « limitation de la « correctionnalisation » des affaires ». Une pratique qui, du fait de l’engorgement des tribunaux d’assises, a conduit depuis des années des magistrats instructeurs à qualifier en délits des faits qui relèvent de la criminalité pour diminuer les temps de procédure. Sont particulièrement concernés les viols, trop souvent requalifiés en « agressions sexuelles » au grand dam des associations d’aide aux victimes, scandalisées à juste titre par cet artifice de procédure. Hélas ! il ne semble pas que l’émergence des cours criminelles ait réduit de manière significative la « correctionnalisation » des affaires.
Me Benjamin Fiorini, maître de conférences en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université Paris 8 a, le 25 novembre, dressé un tableau très critique à l’encontre des cours criminelles (lien) en référence à la publication du rapport du Comité d’évaluation et de suivi des CCD (lien) portant sur 387 affaires jugées par des cours criminelles entre septembre 2019 et juin 2022. Nombre de magistrats et d’avocats partagent tout ou partie de ces critiques. Certains soulignent notamment que le gain de temps réalisé lors des procès en cour criminelle se fait au détriment de la conduite des affaires ordinaires du fait du détachement des magistrats supplémentaires de leur poste habituel au civil ou au pénal.
Le principal grief à l’encontre des cours criminelles reste toutefois la suppression des jurés populaires dans cette instance. Outre l’expérience citoyenne particulièrement riche au plan humain que vivent les personnes tirées au sort, leur absence prive les procès en CCD de l’entrée dans les prétoires de la « société ordinaire » et du regard sur les accusés de « personnes qui leur ressemblent » et non des seuls magistrats vêtus de manière solennelle en rouge ou en noir.
Des magistrats perçus par les justiciables, moins comme des personnes que comme les représentants d’une institution froide at austère. Supprimer les jurés populaires, c’est, regrettent de nombreux opposants, « se priver de la seule instance de démocratie directe », Benjamin Fiorini allant même jusqu’à qualifier les CCD de « cours contre la démocratie ».
Au final, l’expérimentation conduite depuis 2019 a montré qu’il n’y a guère de différences entre les cours criminelles et les cours d’assises : les taux d’acquittement y sont respectivement de 5,5 % contre 5,8 % et les peines prononcées de 9,6 ans contre 10,2 ans. Autrement dit rien de significatif. Dès lors, quel intérêt peut présenter la généralisation des cours criminelles au 1er janvier ? Telle est la question que posent 44 députés emmenés par Francesca Pasquini (EELV), lesquels ont déposé le 11 octobre à l’Assemblée Nationale une « proposition de loi visant à préserver le jury populaire de cour d’assises ».
Cette initiative parlementaire n’a quasiment aucune chance d’aboutir. Et c’est regrettable. Certes, la réduction des délais de comparution est réelle mais, on l’a vu, se fait au détriment d’autres procédures judiciaires du fait des détachements de magistrats. Quant à la fin de la « correctionnalisation », cela ne fonctionne manifestement pas, ou très peu. La présidente du Syndicat de la Magistrature, Kim Reuflet, est à cet égard, très sévère : « Aujourd’hui, les viols sont encore massivement correctionnalisés, même là où il y a une expérimentation de cours criminelles départementales ».
En conclusion, la généralisation des cours criminelles à l’ensemble du territoire semble ne répondre à aucun besoin impératif au plan judiciaire. Pire, elle contribue à détacher un peu plus les citoyens d’une institution sur laquelle ils portent déjà un regard très sévère. Mais de cela, le pouvoir exécutif n’a cure : il est en effet évident que cette réforme est dictée par des considérations purement économiques. Un classique de la macronie !
* Sauf circonstances exceptionnelles, une session dure deux semaines.
** L’expérimentation des cours criminelles a été initiée en avril 2019 dans 7 départements avant d’être étendue à 23 autres départements en mai 2020.
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Bibliographie :
Des délits et des peines,Le livre .
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Opinions sociales/La Justice civile et militaire,Le livre . Ouvrage de référence.