En explorant le web nos rédacteurs ont relevé un article qui va vous intéresser. Son thème est « la justice ».
Le titre (Haïti : il y a urgence à mettre en place un tribunal anticorruption) est sans équivoque.
Sachez que le journaliste (annoncé sous la signature d’anonymat
) est connu et fiable pour plusieurs autres encarts qu’il a publiés sur internet.
Les infos concernées sont par conséquent appréciées véridiques.
Texte d’origine :
On s’est habitué à considérer Haïti comme un cas isolé, en égrenant à chaque retour des projecteurs, les tristes records dont souffre ce petit pays de la Caraïbe : pauvreté endémique, malnutrition, taux de mortalité, chômage, violences urbaines, trafics en tout genre, mafiaïsation de l’économie et de la société, etc. D’aucuns considèrent la tragédie actuelle comme un acharnement incompréhensible du destin. Pourtant, la situation de ce pays n’est pas la conséquence de la malchance de tout un peuple ou un accident de l’histoire. C’est le résultat d’un long processus de déstabilisation, fait d’agressions internes et externes, parfaitement explicables et en totale résonance avec ce qui se passe dans certains pays d’Amérique latine et d’Afrique. L’État failli d’Haïti est une construction historique.
Pas de président, ni de députés et de sénateurs: « Haïti est un État qui n’existe pas »
Une emprise internationale permanente
Alors qu’une presse internationale s’est alarmée, à juste titre du nombre d’armes en circulation en Serbie suite à la guerre, Haïti atteint des scores semblables sans qu’aucune guerre n’y ait été menée et alors que la communauté internationale y a été massivement présente non seulement après le tremblement de terre de 2010, mais depuis la fin de la dictature duvaliériste en 1986, puis le retour forcé du président Aristide avec une intervention des États-Unis en 1994, enfin à travers une force de maintien de la paix dirigée par le Brésil de 2004 à 2017. En Haïti, l’emprise internationale a été permanente dans toutes les transitions électorales depuis 1987 en manifestant à chaque fois clairement ses préférences politiques lors des scrutins. Et il ne fait aucun doute que le retrait massif des agences internationales en 2015 après l’échec de la reconstruction, de même que le repli diplomatique durant les deux longues années de la crise Covid n’ont fait qu’empirer les choses. Mais les exemples d’ingérence sont légion ces dernières années comme les élections truquées de 2012 qui ont permis la prise de pouvoir par Martelly, le communiqué de la BINUH/CoreGroup (essentiellement États-Unis, Canada, France, Union Européenne et Brésil), pour vanter les mérites du regroupement des gangs criminels G-9, l’appui total du gouvernement américain et du CoreGroup à Jovenel Moise après le renvoi des députés et la paralysie du Parlement, l’Appui unanime du CoreGroup encore au même président Jovenel Moise durant toute la période au cours de laquelle son parti PHTK et lui ont neutralisé la police nationale et aidé à la mise en place des premiers gangs, en leur fournissant armes, munitions et protection.
Les États-Unis fixent les règles
En Haïti, la soi-disant communauté internationale n’est donc pas un acteur externe et neutre, susceptible de devenir un éventuel soutien de dernier recours. C’est un acteur interne de premier plan. Elle est totalement impliquée dans la déroute du pays. Elle fixe les règles du jeu, les priorités et l’agenda du gouvernement, les lignes rouges à ne pas dépasser. Par ailleurs, en fermant volontairement les yeux sur un certain nombre d’initiatives risquées du gouvernement local, elle décide en fin de compte de ce qui est permis. Car lorsqu’elle a un désaccord, elle le manifeste brutalement et sans ménagement. Dans la logique du gouvernement haïtien, tout ce qui n’est pas explicitement interdit par les États-Unis et le CoreGroup est permis.
Dans une logique coloniale
Dès lors, pourquoi faudrait-il une fois encore frapper à la porte de cette “communauté internationale” comme si elle détenait les clés d’une solution ou l’empêchait de se mettre en place ? Sa présence continue dans le pays depuis 1994 n’a empêché ni l’émergence ni la prolifération des gangs et de la violence, que du contraire ! En outre, dans la mesure où elle est un acteur interne à part entière qui influe sur toutes les décisions de la vie en Haïti, elle n’existe pas comme instance externe de résolution de problème. C’est une fiction. Le problème doit être posé autrement. Pour bien la comprendre et éviter le pathos, il faut sortir la tragédie d’Haïti du huis clos haïtien (Gang/PHTK/Ariel Henry/CoreGroup) et replacer Haïti dans un contexte géopolitique plus large. De cette manière, il est possible de mieux saisir les continuités qui existent dans la logique coloniale des États occidentaux par rapport aux pays du sud et, en particulier, entre Haïti et d’autres États “faillis”.
Haïti: dérive totalitaire ou agonie ?
Nouvelles stratégies au gré des crises climatique et énergétique
En fait, la communauté internationale imaginaire à laquelle on adresse un message en faveur d’Haïti n’existe plus et c’est ce problème majeur qu’il faut bien comprendre avant de se lancer dans des hypothèses sur une sortie de crise. Les stratégies qui sous-tendent l’ordre international ont radicalement changé en fonction des urgences de la crise climatique et de la crise énergétique. Les relations entre pays sont désormais soumises à deux enjeux fondamentaux : d’un côté, l’accès aux ressources rares, nécessaires au déploiement de la croissance numérique ; d’un autre côté, la sécurisation des réserves énergétiques, nécessaires à la gestion d’une transition post-carbone la plus supportable possible pour les économies riches. Cette nouvelle équation a permis à un conservatisme radical d’imposer ses idées sur la nécessité d’un changement d’ordre international, des idées privilégiant une approche unilatéraliste et concurrentielle, où les situations anarchiques sont perçues comme des opportunités. Ce changement est devenu plus patent avec les décisions impulsées par Donald Trump. Mais il se poursuit actuellement sans réorientation majeure en ce qui concerne au moins l’Amérique latine et centrale ainsi que la Caraïbe.
Unilatéralisme américain
Dans le contexte de cette vague néoconservatrice qui oriente les choix stratégiques des principaux agents de l’ordre international actuellement, un dernier élément est à prendre compte. Il s’agit de l’alignement des agents concernés, fragilisés par la guerre des ressources qu’imposent les économies de transition pour maintenir le statu quo en leur faveur. Le résultat pour Haïti est que les discordances entre “pays amis” qui ont pu jouer à plusieurs reprises en faveur des intérêts du peuple haïtien ne sont plus à l’ordre du jour d’un agenda néoconservateur où les stratégies mises en œuvre en Haïti, le sont aussi dans d’autres pays de la région. En Haïti, le CoreGroup qui constitue de facto le dispositif local du gouvernement transnational d’Haïti, est dirigé par les États-Unis et, même si tous ses membres se réfèrent en public au consensus entre les “alliés”, aucun d’entre eux ne court le risque de s’opposer à la volonté des États-Unis et n’ose affirmer comme par le passé des positions divergentes sur Haïti. Sur le plan local, le CoreGroup est le reflet de l’unilatéralisme américain dans les affaires haïtiennes. Parler de communauté internationale dans un tel contexte est incongru et anachronique.
Des solutions pour Haïti !
Plan pour juguler la violence
Au bout du compte, sur le plan international, la voie à emprunter est moins manichéenne : demander aux bons de chasser les méchants ! Face à une telle situation, l’urgence n’est pas dans les déclarations pour une nième transition soutenue par des alliés dissidents imaginaires que le nouvel ordre international ne connaît pas. L’urgence c’est l’option pour un ordre décolonial assumé. Ce dernier passe par la lutte contre le traitement injuste infligé aux migrants, ainsi que contre les expulsions des repris de justice, au mépris des conventions de droits humains, mais aussi par le gel des avoirs des financeurs des gangs, par les mandats contre toutes les personnalités liées au trafic d’armes et de munition, enfin par la surveillance stricte des exportations en la matière. Mais le plus important réside dans les actions réalisables sur le plan local pour juguler la violence. Parmi celles-ci la lutte contre l’impunité doit être une priorité et devrait prendre la forme d’un tribunal spécial anticorruption. Il serait à mettre en place en Haïti même dans le cadre d’un processus d’entraide judiciaire pour poursuivre, et sanctionner les personnalités politiques et du monde des affaires impliquées dans le détournement des maigres ressources de l’État, des fonds PetroCaribe (accord pétrolier avec le Venezuela) et dans le financement des gangs. Ce tribunal anticorruption local est le seul moyen d’atteindre réellement les fraudeurs et les criminels pour remettre en cause l’impunité qui garantit l’ordre sociopolitique local producteur de violence. Ce sont autant de mesures qui peuvent engendrer une véritable rupture dans l’engrenage infernal que soutient le néoconservatisme dans sa stratégie de déstabilisation. Ce qui a été mis en pause par le Covid-19, c’est aussi le rôle décisif que peut jouer, dans cette lutte, une société civile internationale déconnectée des réseaux portant le discours lénifiant de la communauté internationale. Bref, une opposition digne de ce nom à la violence impérialiste !
(1) Marc Maesschalck est philosophe, Professeur agrégé et Directeur du Centre de Philosophie du Droit de l’Université catholique de Louvain. Jean-Claude Jean est philosophe, Consultant Gouvernance/Justice à Port-au-Prince. Ancien directeur notamment du bureau de Développement et Paix en Haïti. Les deux auteurs ont coécrit Transition politique en Haïti (L’Harmattan, 1999) et ont contribué à Les Défis d’un nouvel internationalisme (Weyler, 2021).
Titre et chapô sont de la rédaction. Titre original : “Haïti : la violence comme stratégie !”
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