Une majorité de 4 à 3 amendements législatifs sont d’abord requis, habilitant les tribunaux irlandais à refuser d’appliquer les décisions du CETA lorsque l’identité constitutionnelle, les principes fondamentaux ou les obligations de l’UE sont matériellement compromis.
Patrick Costello, député du Parti vert de la coalition au pouvoir, a contesté la ratification prévue par le gouvernement de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre l’UE et le Canada. Il a fait valoir que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) du CETA interférait avec la souveraineté juridique et législative de l’État, et qu’un référendum devait donc être organisé.
Sur 476 pages stupéfiantes, les sept juges ont exposé des positions variées sur les questions soulevées.
L’exécution « presque automatique » des sentences porte atteinte à la souveraineté juridique
Les différends entre investisseurs et États sont entendus par le Tribunal de l’AECG, qui peut rendre des décisions « contraignantes » à l’encontre de l’État pour violation de l’accord. Les sentences CETA sont traitées comme des sentences arbitraires en vertu des Conventions de New York ou du CIRDI. Alors que l’Irlande est un système juridique dualiste, les deux Conventions ont été incorporées dans le droit interne en vertu de la loi sur l’arbitrage 2010. Dans ce cadre, les sentences du CIRDI bénéficient d’une exécution « pratiquement automatique » en Irlande (analyse ; Hogan J paras. 65-89).
Pour le juge Hogan, l’application des sentences CETA par le biais de la loi de 2010 élargirait de manière anticonstitutionnelle la portée de cette loi. Il visait à donner effet aux sentences arbitrales « conventionnelles », lorsque l’État a consenti à la résolution externe des différends dans un contrat commercial spécifique. En revanche, le CETA soumet l’État à un mécanisme général de RDIE dans le cadre d’un traité multilatéral.
Trois juges (Dunne, Baker, Charleton JJ) ont souligné que le même ensemble de faits, comme une violation présumée du traitement juste et équitable, peut fonder une plainte contre l’État en vertu à la fois du droit irlandais et du CETA. Pour poursuivre une réclamation en vertu de l’AECG, les procédures nationales doivent être éteintes. Si un investisseur canadien choisit cette voie, les tribunaux irlandais seraient privés de compétence sur ce différend.
Pour la majorité, le juge Dunne (par. 242-247) a conclu que cette compétence « parallèle » associée à l’exécutoire « quasi automatique » des sentences violait la souveraineté juridique de l’État.
Avis 1/17 passé au crible
Dans son avis 1/17, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que le mécanisme RDIE ne porte pas atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE. Plus précisément, l’article 8.31.2 stipule que le Tribunal de l’AECG ne peut considérer le droit national que « comme une question de fait », selon les interprétations nationales en vigueur. Cela a convaincu la CJUE que sa position d’interprète définitif du droit de l’UE était préservée.
Les juges Hogan et Baker (paragraphes 99-114 ; 49-69) ont exprimé leur scepticisme quant au fait que le Tribunal de l’AECG pourrait néanmoins ignorer ou mal interpréter le droit européen ou irlandais. Contrairement à la CJUE, ils ont critiqué l’absence de structures de dialogue entre le Tribunal du CETA et les juridictions nationales.
Rappelant certaines garanties textuelles, la CJUE a conclu que le Tribunal CETA ne pouvait pas remettre en cause le niveau de protection de l’intérêt public déterminé par le législateur de l’UE. Six juges irlandais ont également rejeté les arguments de «refroidissement législatif» du député du Parti vert, principalement basés sur la séparation des pouvoirs constitutionnelle irlandaise. Dans cette optique, certains ont estimé qu’il était inapproprié que la Cour suprême irlandaise envisage même un éventuel «refroidissement législatif» (par exemple, Dunne J, 249-261).
Autonomie de l’Union ou souveraineté des États membres ?
Certains commentateurs suggèrent qu’à travers son principe d’autonomie, la CJUE revendique une forme de souveraineté « juridictionnelle négative » ou « externe ». L’approche majoritaire irlandaise fournit un comparateur utile dans les débats sur la nature ou l’étendue d’une telle souveraineté revendiquée, et sur l’architecture constitutionnelle de l’Union.
La CJUE a souligné que sa capacité à avoir le dernier mot interprétatif du droit de l’UE est primordiale pour le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union. Cette demande a été essentiellement satisfaite en excluant le Tribunal de l’AECG de toute compétence pour interpréter le droit de l’UE. En revanche, la majorité irlandaise protégeait un pouvoir plus large pour régler les différends impliquant l’État irlandais. Le fait que le Tribunal CETA ne puisse pas appliquer le droit irlandais est sans importance pour cette prérogative constitutionnelle. Le juge Hogan, qui était auparavant avocat général auprès de la CJUE, a souligné que les traités de l’UE ne contiennent pas de dispositions analogues à la « clause de souveraineté de l’article 5 de la Constitution irlandaise ou… [those relating] à l’administration de la justice[…]ou à l’irrévocabilité des jugements ».
Bien sûr, la « souveraineté » reste une notion quelque peu insaisissable, même dans le contexte irlandais. Les sept juges ont largement convenu que la souveraineté populaire et la capacité de l’État à s’engager sur un pied d’égalité dans les relations internationales sont les principes les plus fondamentaux de la souveraineté irlandaise. Pourtant, différentes nuances ont conduit à des résultats variés par problème. Notamment, le juge en chef O’Donnell a critiqué l’opinion majoritaire « quelque peu rudimentaire » de la majorité, car elle entrave la capacité de l’Irlande à prendre sa place parmi les États souverains dans le monde moderne et de plus en plus interconnecté (paragraphes 164-165).
Commission paritaire – préserver le contrôle ou saper la démocratie ?
Une minorité de trois personnes a estimé que les pouvoirs d’interprétation du comité mixte du CETA violaient la « clause de souveraineté » de l’Irlande.
Le comité mixte peut adopter des interprétations contraignantes des dispositions de l’AECG. Cela vise à limiter le risque d’interprétations incorrectes ou indûment expansives par le Tribunal. Bien que le comité mixte ne soit composé que de représentants de l’UE et du Canada, la Commission européenne le considère comme une «soupape de sécurité» pour les gouvernements nationaux. En effet, les juges Baker et Hogan ont admis que la politique intra-UE signifierait probablement que les positions de l’UE seraient adoptées par consensus général.
Néanmoins, ils ont envisagé la possibilité pour un organisme externe de modifier effectivement le texte de l’AECG sans le consentement de l’Irlande ou sans contribution parlementaire, ce qui porte atteinte à la nature démocratique de l’État. Le juge Charleton a accepté et a également soutenu cette souveraineté législative cédée conférée à la législature nationale par le peuple irlandais.
Remédier à l’inconstitutionnalité – modifications législatives
Le juge Hogan (partie XIII) a proposé que le Parlement modifie la loi de 2010 pour habiliter les tribunaux à refuser de donner effet à une décision de l’AECG lorsqu’elle compromet matériellement l’identité constitutionnelle irlandaise, les principes constitutionnels fondamentaux ou les obligations de l’UE. C’est notamment la première fois que la Cour suprême irlandaise emploie le terme « identité constitutionnelle ». Les juges Baker et Dunne ont convenu que ces modifications législatives permettraient la ratification de l’AECG.
Trois juges (O’Donnell CJ, MacMenamin J, Power J) ont jugé cela inutile; Les tribunaux irlandais doivent toujours refuser l’exécution de toute sentence contraire à l’identité constitutionnelle ou aux principes fondamentaux du droit de l’UE. Reconnaissant les préoccupations de leurs collègues, ils ont conclu que l’inclusion explicite de tels motifs de refus dans la législation « renforcerait » la constitutionnalité de la ratification de l’AECG.
Le juge Charleton était dissident; élargir les motifs de refus d’exécution des sentences AECG contredirait fondamentalement l’accord lui-même – une voie impossible en vertu du droit international. Cela serait également incompatible avec les obligations de l’Irlande vis-à-vis de l’UE.
C’est peut-être un soulagement qu’un amendement législatif, plutôt qu’un référendum, apaise les inquiétudes de la majorité. Pourtant, avec certains députés verts insistant sur le fait qu’ils voteront contre toute proposition législative liée à l’AECG, le débat politique est loin d’être terminé en Irlande.
Dans l’ensemble, l’affaire souligne l’immense difficulté de construire un mécanisme ISDS pour satisfaire l’autonomie de l’Union et la compréhension de la souveraineté des États au sein et entre les 27 États membres. 11 États membres doivent encore ratifier l’accord.
Remarque : un résumé des jugements peut être trouvé ici.